L’académicien et réalisateur de renom Azlarabe Alaoui Lamharzi est membre du Jury international dans la catégorie du film documentaire du Festival du Film Africain de Louxor 2018. A cette occasion il nous a accordé cet entretien exclusif.
Il est lauréat de l’école du cinéma et de la télévision – Canada. Il est l’auteur de : «L’approche critique dans le discours cinématographique marocain 1905- 2000». Il réalise plusieurs documentaires pour les chaînes nationales et internationales, ainsi que plusieurs courts métrages tels que «Rendez-vous à Volubilis», «L’île d’un certain jour», «Bidouza», «Izourane». «Androman… De sang et de charbon», “La Cité des Hiboux” est son premier long métrage.
* Vous venez du milieu académique et ensuite vous avez commencé à réaliser des documentaires, des courts-métrages et deux longs –métrages. Comment conciliez-vous ces deux métiers? Lequel des deux est votre vraie passion ?
E.A.A.L : Cette question m’aurait été difficile si j’avais étudié une autre discipline que le Cinéma. En fait je suis un enseignant supérieur du cinéma et titulaire d’un doctorat dans cette branche. J’enseigne donc dans un esprit qui associe l’amour du cinéma à l’amour de l’enseigner à autrui. Je peux dire que je vis et je ressens cette complémentarité entre les études académiques du cinéma d’un côté, qui sont la partie théorique puisque en l’enseignant j’ouvre des discussions avec les étudiants où j’enseigne et j’apprends et d’un autre côté, l’application du théorique dans la réalisation de mes films.
Pour répondre à la question, je dirais : réaliser et enseigner sont les deux sections théoriques et pratiques de la même profession.
*Vous êtes connu au Maroc pour votre générosité quant au transfert de votre savoir aux jeunes réalisateurs marocains. Un engagement que n’ont pas tous les cinéastes.
E.A.A.L : Je ne vous le cache pas, le début de ma carrière cinématographique était très difficile. Au Maroc, j’ai beau cherché, sans succès, des établissements ou effectuer des stages, des instituts pour apprendre le cinéma… J’ai donc parcouru cinq mille kilomètres en transport en commun pour l’Egypte afin d’apprendre le cinéma à l’Institut National du Cinéma et puis pour des difficultés financières, je suis finalement retourné au Maroc. Je ne voudrais pas que la jeunesse marocaine revive ces obstacles, c’est pour cela que je me suis engagé pour les aider autant que possible en organisant et animant, gracieusement, des ateliers, en donnant des cours dans les festivals dans de nombreuses villes et villages. D’ailleurs dans mon dernier film : ‘’La cité des hiboux’’, j’ai donné accès à 14 stagiaires à l’apprentissage professionnel auprès de professionnels confirmés.
*Dans vos films de fictions « Izourane » et « Andromane » qui ont connu de grand succès dans les festivals nationaux et internationaux qui peuvent en quelque sorte s’inscrire dans la même veine : la femme est le personnage phare et l’homme est en marge des évènements dans « Izourane ». Dans « Andromane » il y a aussi le questionnement quant à la situation de la femme dans une société conservatrice. La cause de la femme est-elle un sujet qui vous préoccupe?
E.A.A.L : La femme pour moi et synonyme de générosité. J’ai aimé ma mère et à travers elle, j’ai aimé toutes les femmes. J’ai perdu mon père à un jeune âge : 14 ans. J’ai donc vécu de très près les efforts que ma mère avait, sans cesse, déployés pour donner à notre fratrie une bonne éducation. Je voyais de mes propres yeux comment elle a lutté pour que ses enfants puissent étudier et apprendre. Cet amour et cette passion envers les femmes ont émergé dans mes films.
*Dans vos films il n’y avait pas de scènes osées. Croyez-vous en ce qu’on appelle le cinéma propre?
E.A.A.L :Sincèrement, je n’aime pas catégoriser le cinéma en films propres ou films sales. Le cinéma est avant tout de la créativité. Des fois, cette créativité nécessite des scènes qui déploient le corps pour atteindre certaines connotations. Si ce ne sont pas des intentions sexuelles voulues qui visent juste à attirer la foule dans les salles de cinéma, je ne serais pas contre. Sachant qu’en ce qui me concerne, je n’ai jamais utilisé le corps pour faire aboutir les sujets que j’ai traités.
*Dans vos documentaires aussi vous traitiez les grandes causes. Est-ce par engagement ou par affinité? Est-ce qu’un réalisateur arabo-africain doit traiter uniquement les grandes causes?
E.A.A.L : A mon avis, l’artiste ou le créateur doit parler de la société dans laquelle il vit, exprimer ses sensations, ses préoccupations et ses problèmes. Etre comme l’appelait le philosophe Gramsci ‘’ L’’intellectuel organique’’. Mon choix de sujets épineux émane de mon engagement en tant qu’artiste auprès des classes déchirées et marginalisées de la société. Un engagement qui caractérise clairement tous mes produits audiovisuels.
*Avez-vous pensé à une coproduction avec l’Egypte ou un autre pays africain, car nous avons tant en commun.
E.A.A.L : La coproduction reste la seule porte d’accès à la mondialisation. Malheureusement, il y a peu d’opportunités dans les productions arabes et africaines. Pour mon dernier film, par exemple, trouver une coproduction valable a pris 4 ans.
*Certains reprochent au cinéma marocain du siècle dernier et même du début de ce siècle de ne pas montrer le Maroc authentique ou parfois de répondre à un agenda occidental pour pouvoir profiter d’offres de financements. Qu’en pensez-vous?
Ceci est vrai. Dans les pays arabes ou africains, généralement afin d’avoir accès à une coproduction ou un soutien financier, des visions et des contraintes liées à la société et à la tradition nous sont imposées. Rien n’est gratuit : les scénarios sont obligatoirement revisités et ajustés sur la forme ou sur le fond.
Cela m’est arrivé personnellement, car on m’a demandé de focaliser des scènes sur un désir sexuel entre deux filles en prison, ce qui aurait dévié le film de son rôle principal qui porte sur la tragédie de la dispersion des familles et en faire ainsi un sujet sexuel ! D’ailleurs, j’avais refusé et résultat : le film n’a pas encore vu le jour.